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Ve arrondissement.
Mais peut-être ceux qui m ont coudoyé depuis que je me
défends contre la vie seront-ils contents de revoir, debout au
milieu d eux, en ce moment suprême, l ancien camarade de
misère et de travail, le pauvre diable qui se promena si
longtemps, en habits élimés, au Luxembourg.
Ce Pays latin, où a langui ma jeunesse douloureuse, n a
jamais dépêché de combattants, dans les guerres sociales, d un
autre côté que du côté des assassins. Les neveux de Prudhomme
ont toujours renâclé devant les batailles où leurs paletots
frôleraient des blouses, où le contremaître de la barricade
brutaliserait les bacheliers s ils embarrassaient la manSuvre et
gênaient le tir.
Qui sait s ils ne seront pas plus décidés, ayant un des leurs
pour capitaine !
J ai couru à l Hôtel de Ville.
« Gambon, mets le cachet là-dessus.
Bonne idée ! ils te connaissent tous, là-haut, autour de la
Sorbonne. Seulement, tu es mal avec Régère, je crois ? Enfin,
voilà ton papier& Et maintenant, embrasse-moi ! On ne sait pas
ce qui peut arriver ! »
Il m a embrassé, en paraphant, comme membre du Comité de
Salut public, ma commission d envoyé pour présider à la
direction de la défense au Panthéon.
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Je ne suis guère fort en stratégie. Comment fortifie-t-on un
quartier ? Comment met-on des pièces en batterie ?
Est-ce que ça sait quelque chose, un éduqué ?
En passant devant le collège Sainte-Barbe, puis Louis-le-
Grand, je leur ai montré le poing écolier aux moustaches
grisonnantes qui en veut à ces casernes de ne lui avoir rien appris
qui puisse lui servir maintenant contre la troupe !
Régère était de la majorité, et un des enragés. On se dit
bonjour tout de même. Mais il veut garder le commandement&
tout le commandement !
Allons ! Jacques, fourre la paperasse dans ta poche n invoque
que ton passé de Bibliothèque et d Odéon, des semaines de dèche
et de prison, auprès des vieux copains.
J en ai retrouvé plusieurs en pleine rue. La moitié fuyait,
allait se cacher, mais le reste a mis la main à la pâte bravement !
J ai dû, par exemple, signer des tas de nominations de
délégués, au nom de ma délégation à moi, que j ai retirée fripée
de mon gousset.
Il en faut, de ces chiffons-là, pour ceux qui ont un orgueil de
vingt ans. Ils s exposent à être fusillés ce soir, pour avoir, ce
matin, un brevet d officier à montrer.
Pourtant, ils se sont mis à l Suvre, matelassant,
approvisionnant, munitionnant et se compromettant jusqu à la
mort.
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C est ce qu il faut !
Si quelques-uns de ces fils de famille sont, demain, massacrés
ou transportés, c est de la graine d insurrection jetée dans le
champ des bourgeois.
Je prends pied et langue dans le bivouac qui s est installé
autour du Panthéon. Ah ! l on ne dit pas de bien de la Commune !
« Si elle avait été plus énergique ! &
Et si vous n aviez pas endormi le peuple avec votre journal
de modérés, vous, Vingtras ! » fait un lieutenant, me prenant à la
gorge.
Dans cette compagnie-là, on n aime pas la minorité.
Une détonation !
« Tiens ! il faudra faire mettre une pièce à mon par-dessus. »
Un peu plus bas, c était ma peau même qu il y aurait eu à
recoudre.
Un pistolet est parti& par mégarde.
On s est raccommodés.
Les rancunes se taisent devant l ennemi qui approche.
Il est gare Montparnasse déjà !
Va-t-il sauter sur le quartier ?
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« Si l on sautait sur lui ? & »
Cette idée est jetée, le soir, dans le conseil des commandants
réunis, par un compagnon d autrefois, un lettré aussi, mais qui ne
croit point à la stratégie classique et à la défense derrière des
pierres.
« Marchons en avant, et délogeons-les !
C est une folie ! » ripostent à l unanimité ceux qui ont été
soldats.
Folie hardie, en tout cas, qui peut déconcerter l adversaire, et
ne sera guère plus dangereuse que la résistance passive ! Mais
nous restons, seuls avec notre projet de fous, le camarade et moi,
nous jurant d aller jusqu au bout, côte à côte, coûte que coûte.
« Si je recevais une blessure trop cruelle, promettez-moi de
m achever ?
Oui, à condition que vous me rendiez le même service, si
c est moi qui étrenne ?
Entendu ! »
C est que la souffrance me fait une peur du diable ; par
lâcheté, j aimerais mieux la mort. Quoique, cependant, crever
d un dernier gnon14 donné par un copain, au coin d un mur, ce ne
soit pas précisément gai !
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Coup de poing.
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« Et être lardé vivant par les baïonnettes, vous trouvez que ce
serait drôle ?
Lardé ! &
Mon cher, ces lignards nous auraient déjà hachés s ils
avaient pu, quand nous prêchions la guerre à outrance. Ils nous
arracheront cette fois les yeux avec le tire-bouchon de leur sabre,
parce que c est à cause de nous qu on les a fait revenir de leurs
villages. »
Un combattant m aborde.
« Citoyen, voulez-vous voir comment c est fait, le cadavre
d un traître ?
On a exécuté quelqu un !
Oui, un boulanger qui a nié d abord, qui a avoué ensuite. »
Le fédéré m a vu blêmir.
« Vous auriez peut-être voté l acquittement, vous ! Ah ! vingt
dieux ! ne pas comprendre que casser la tête d un Judas, c est
sauver la tête de mille des siens ! J ai l horreur du sang et j en ai
plein les mains : il s est accroché à moi au coup de grâce !
Seulement, s il n y en a pas qui tuent les espions, alors quoi ? »
Un autre est intervenu dans le débat.
« C est pas tout ça ! Vous voulez garder vos pattes nettes pour
quand vous serez devant le tribunal ou devant la postérité ! Et
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c est nous, c est le peuple, l ouvrier, qui doit toujours faire la sale
besogne& Pour qu on lui crache dessus après, n est-ce pas ? »
Il dit vrai, cet irrité !
Oui, l on veut paraître propre dans l histoire, et n avoir pas de
fumier d abattoir attaché à son nom.
Avoue-toi cela, Vingtras ; ne mets pas à ton acquit la pâleur
qui t a envahi la face devant le geindre fusillé !
Mardi, 5 heures du matin.
La bataille est engagée du côté du Panthéon. Ah ! que c est
triste, par ce soleil levant, cette descente des civières toutes
barbouillées de pourpre humaine ! Ce sont les blessés de là-haut
de la rue Vavin et du boulevard Arago qui sont apportés aux
ambulances.
J ai dormi dans je ne sais quel endroit de la mairie ; voisin
d un mort, cette nuit comme l autre.
Le boulanger est là, derrière ces planches, et des brins de
paille humide ont été roulés, par une rigole d eau, jusqu à mes
pieds.
On m a réveillé au petit jour, et j ai pris le chemin des
barricades.
Mais, en route, commandants et capitaines m arrêtent, me
saisissent les mains, les basques, demandant des munitions, du
pain, un conseil& quelques-uns un discours.
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Il en est qui menacent :
« Avec ça que la Commune a le droit d élever la voix ! »
Ah ! je m y perds ! Et personne n est avec moi pour me
renseigner et me soutenir, pour partager le fardeau ! Des
membres de la Commune qu a élus le quartier, je n ai encore vu
que Régère, assailli, débordé, noyé à la municipalité et Jourde,
qui est apparu un moment, mais qui a bien d autres
responsabilités sur les épaules.
C est lui qui tient les derniers écus qui vont alimenter
l insurrection, payer les vivres que les plus résolus réclament si
haut. Il a, en plus, son ministère qui brûle, grâce aux obus de
Versailles.
Et je suis seul.
De temps en temps, on me colle contre une maison et l on
parle de me régler mon compte.
Würtz, l Alsacien, un des juges d instruction de Ferré, vient de
m en sauver d une belle à l instant.
« Vous n êtes pas Vingtras »
On s est rassemblés.
« Un mouchard ! Abattez-nous ça !
À la mairie ! À la mairie !
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Pourquoi à la mairie ? Là, contre la palissade !
Jacques Vingtras a de la barbe. Vous n êtes pas Jacques
Vingtras !
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